Mardi 18 septembre
Après avoir laissé la parole al Maestro de l’écriture chez moi dans le dernier article, je reprends le stylo et laisse aller sa plume au bon vouloir des irrégularités de la feuille blanche.
Je viens donc de terminer près de deux semaines de voyage avec mes parents, à passer dans des lieux remplissant l’imaginaire collectif. Des lieux dont les textes ou les photos ne peuvent vous retranscrire toute la beauté, toute la consistance des sensations qu’ils vous procurent. Leur essence vous enveloppe, leur gigantisme vous impressionne, leur diversité de formes et de couleurs est illimitée, votre esprit perd tout repère pour ne faire qu’un avec l’instant présent…
Après le départ des parents ce matin, je récupère Émilie, une amie de longue date, en fin de journée. Après lui avoir fait rapidement visiter la rue principale de Las Vegas en voiture, nous prenons la direction du Grand Canyon. Fatigués, elle par le décalage, moi par la conduite, nous nous arrêterons en bord de route à 2h du matin un peu après Wilson. Je mets le réveil à 6h, je nous ai prévu une rando descendant dans le Grand Canyon pour le lendemain.
Mercredi 19 Septembre (Grand Canyon – 20 km – 750m D+/ 750m D-)
À la différence de la dernière semaine, le ciel bleu présente ce matin quelques nuages. Nous arrivons au départ de la rando à 7h45. Pas de lever de soleil pour ce matin donc. Mais fouler la terre ocre des pentes du Grand Canyon, descendre dans un écrin de dentelle sculpté par les forces de l’eau est, je dois dire, d’une intensité rarement vécue jusque-là ! Émilie marche avec un croisé cassé depuis déjà deux ans. Il a fallu un médecin un peu plus attentif que les autres pour enfin poser le bon diagnostic sur la douleur lancinante dont elle se plaignait depuis le départ. Je ne suis donc pas complètement rassuré par le fait de l’emmener dans des marches à outrance, bien que son caractère d’Aveyronnaise soit plutôt tourné vers le dur au mal.
Nous nous limitons donc à descendre à mi-chemin du Colorado. Nous ne le savons pas encore, mais il s’agira finalement d’un excellent choix. D’abord, parce que nous avons suivi sur le plateau un sentier non emprunté ; nous n’y avons croisé personne. Et puis, parce que la météo s’est mise à tourner. Dans les premiers temps, c’était plutôt agréable. Nous avions descendu 14 litres d’eau car notre parcours est dénué de points d’eau et les températures dépassent facilement les 40° dans l’antre de ce géant. Plus nous avancions plus nous voyions la masse nuageuse se concentrer à l’Ouest. Au moment de s’arrêter pour manger, les éclairs et premiers coups de tonnerre se font ressentir. Je préviens Émilie que ça va nous arriver dessus. Nous prenons quelques minutes pour profiter du point de vue. Nous avons atteint la corniche surplombant le Colorado, c’est à dire la partie la plus jeune du canyon. Quelques centaines de mètres de hauteur nous séparent de ce fleuve mythique en contrebas, de même que de l’échappatoire du canyon ; un plateau nous dominant de ses 800 mètres de hauteur à pic.
Le décor tisse peu à peu le scénario d’une tragédie. Le feu d’artifice nuageux se rapproche de nous. Tout comme le voile sombre du tapis d’eau qu’il draine en dessous. La lumière et le silence de l’atmosphère paisible du début de journée ont laissé place à l’obscurité et aux bourrasques violentes remontant des profondeurs du canyon. Et comme pour sublimer cette mise en scène, nous sommes au milieu de ce no man’s land, à mi-chemin d’une enclave béante de 1 500 mètres de haut prête à nous avaler. Nous nous hâtons maintenant de manger et de replier les affaires pour reprendre la route. Mais après deux minutes les premières gouttes de pluie se font sentir. Il ne faudra pas longtemps pour que le mur d’eau s’effondre sur nous. La pluie n’est pas un réel problème, ce sont les éclairs le vrai danger. Après 20 minutes, nous tombons sur un abri situé au pied de la montée. Même sans les murs, nous ne nous faisons pas prier pour se mettre à couvert sous le toit protecteur de ce dernier. Encore une bonne demi-heure, la pluie redoublera d’intensité. Tout d’un coup, le fracas s’atténue. Les nuages se dissipent et la symphonie paisible de l’égouttage des arbres prend le relais. L’heure pour nous de repartir et de sortir du Grand Canyon. Au moment de se retourner, nous rigolons en se disant qu’il s’agit là d’un bel accueil pour Émilie. Pas de quoi atténuer son moral? elle qui vient de passer quelques mois en Guyane où l’humidité fait partie de la normalité.
D’autant qu’au moment où la plongée de notre astre fait doucement passer le paysage dans l’obscurité, les résidus de nuages drapés de leurs plus belles couleurs nous offrent un spectacle magique. Une bonne manière de terminer cette journée en beauté et de prendre conscience de ce contraste saisissant d’émotions offertes par la Nature.
Jeudi 20 Septembre (Antelope canyon – Bryce Canyon)
Pas mal de route aujourd’hui au programme. Ce matin, je laisserai Émilie aller visiter Antelope Canyon, l’ayant déjà fait la semaine précédente et le lieu étant noir de monde. J’en profiterai pour construire un itinéraire pour les prochains jours et le présenter à Émilie. Nous repartirons ainsi pour Bryce Canyon. L’enchaînement des kilomètres de jour permet à Émilie de mesurer la diversité et l’immensité des paysages qui nous entourent.
Nous arrivons en fin d’après-midi dans Bryce. Le plus petit de tous. Au moment de le découvrir, ce sont des centaines de cheminées de fée sculptées une nouvelle fois par l’érosion qui se présentent à nous! Débouchant sur une vallée ouverte, ces aiguilles alternent des strates multicolores et semblent offrir un paysage éphémère, fragile. Alors, comme pour mieux s’en imprégner, nous resterons regarder le coucher de soleil sur ce paysage très découpé, avant de manger sur place et trouver une place pour dormir juste à l’extérieur du parc.
Vendredi 21 Septembre (Bryce Canyon et route)
Le souvenir de la diversité des teintes et des couleurs de la veille est le meilleur des moteurs à l’extraction d’un corps endormi de la chaleur enveloppante de son duvet. Réveil à 5h30 pour aller vivre le lever du soleil dans le froid d’une aurore d’automne. Une nouvelle symphonie de couleurs se met à l’œuvre plus vive et étincelante que la veille. Le même tableau d’une nouvelle partition se joue devant nos yeux émerveillés.
Bien sûr, nous ne pouvions pas rester là-dessus. Après un petit déjeuner pour nous réchauffer, nous repartons à pied et descendons dans les coulisses du spectacle. Une plongée au cœur des pics acérés. Colosse au corps fragile, notre déambulation au milieu de ce labyrinthe permettra d’en apprécier toute la finesse sur le fond de vastes plaines vertes. Grandiose !
Pas la peine d’en faire beaucoup plus avec ce tout petit parc. Nous repartirons en début d’après-midi vers notre prochaine étape : Canyonsland et Arch National Parks, situés à quelques kilomètres l’un de l’autre.
Samedi 22 Septembre (Canyonsland et Arch National Parks)
Nous terminons les dernières dizaines de kilomètres nous séparant de Canyonsland. Le parc forme un plateau sur lequel nous montons graduellement, serpentant entre des formations géologiques rougeoyantes. Nous débuterons par une petite marche jusqu’à un ancien cratère. Au cœur de ce dernier, les stigmates de ses dernières éruptions forment un dépôt de cendres. Les réactions d’oxydoréduction avec le milieu ambiant ont découpé la formation en strates multicolores.
Nous poursuivons la route dans le parc. Dès le premier belvédère, un nouveau monument de la nature se présente devant nous. Une sorte de Grand canyon plus large et étendu.
Nous comprenons comment le nom du parc a été choisi ; « Canyonsland » voulant dire » la terre des canyons ». Alors nous marcherons jusqu’à la pointe de ce dernier entourés de part et d’autre d’une ouverture intersidérale au cœur des formations rougeoyantes déposées il y a de cela des millions d’années. Impossible de ne pas rester là un long, très long moment. Impossible de ne pas laisser son esprit se faire emporter par la légère brise nous caressant le visage. Il plane au-dessus de cette immensité, comme pour mieux l’apprécier, comme pour mieux s’en imprégner.
Une nouvelle fois, le chef-d’œuvre impose l’humilité. En laissant l’esprit s’évader et prendre de la hauteur, il observe à nouveau l’insignifiance des Etres que nous sommes face à ces majestés naturelles. Peut-être les illustrations expriment parfois davantage le ressenti.
De manière à bien terminer la journée, nous décidons d’aller voir le coucher de soleil dans Arch National Park, sur une nouvelle curiosité de la nature. Car si le parc représente la plus grosse concentration d’Arches au Monde, celle-ci est tout simplement hors classe. Après une marche d’approche de 45 minutes, nous nous retrouvons à côté d’un public nombreux pour assister au spectacle. Vous commencez à me connaître, très peu pour moi merci. Alors, de manière à le vivre un peu plus personnellement, je gagne le point haut de la place à l’issue d’une petite escalade. Émilie arrivée un peu après sera d’ailleurs dans le même état d’esprit puisqu’elle montera sur un promontoire à quelques dizaines de mètres du mien. Une élévation du corps pour faciliter une élévation de l’esprit, voilà qui résume simplement la démarche.
D’autant que l’arche se dressant devant nous est extraordinaire. Reposant au milieu d’un replat, elle semble avoir était façonnée par la main humaine tant sa forme et sa position sont inattendues. Décidément la Nature a, dans cette région du monde, fait preuve d’une impressionnante inventivité doublée d’une grande précision pour sculpter des tableaux toujours plus diverses, toujours plus grands, toujours plus beaux.
Et comme pour bien terminer la journée, nous rencontrons un couple d’Allemands voyageant depuis quelques années dans leur van à travers toute l’Amérique. Ils nous indiquent un lieu pour passer la nuit sans se faire déloger. Nous les suivrons et passerons la soirée à se raconter nos voyages et vies respectifs.
Dimanche 23 Septembre (Arch National Park et début de route vers Yellowstone)
Ce matin, départ aux aurores pour aller profiter de quelques endroits du parc et voir des arches parmi les plus grandes au Monde. Simplement construites par l’érosion, il s’agit de monuments éphémères amenés à disparaitre rapidement avec le temps. Autant d’aspects permettant d’apprécier encore un peu plus l’instant présent, ne sachant pas si l’on reverrait ces arches même en revenant dans un an. Nous savourons tout simplement.
Après avoir passé la matinée sur place, nous prendrons la direction de notre dernière grande étape : Yellowstone, situé 900 km plus au Nord. Au programme de la suite de cette journée, de la route.
Lundi 24 Septembre (Route et arrivée à Yellowstone – traversée du parc de Grand Téton)
Au cours des kilomètres parcourus ce matin, nous sentons que la route s’élève graduellement. Nous arrivons finalement à Grand Téton en fin de matinée, sous un ciel couvert et une atmosphère fraîche. Il s’agit d’un parc moins connu que son grand frère Yellowstone situé juste un peu plus au Nord. Il n’en demeure pas moins intéressant. Les colosses de roches s’élevant en pics acérés bordent la voix asphaltée que nous suivons, barrière naturelle à un arrière pays que l’on devine très sauvage. Nous décidons de stopper notre route pour prendre le temps d’apprécier ce point de vue sur ces montagnes, et improvisons notre repas au bord du lac Jenny. Nous mangeons en silence, chacun laissant libre cours à ses pensées. Je plonge pour ma part dans l’imagination de ce qui se cache là-bas, au-delà de cette barre montagneuse. Un bon moyen de constater que mon envie d’explorer, de découvrir est intacte. En même temps, comment ne pas y penser devant de tels décors, ils nourrissent notre curiosité.
Cette fois-ci, notre prochain arrêt sera La Mecque des parcs nationaux, le plus vieux d’entre eux, celui où l’homme s’est dit pour la première fois en 1872, nous devons créer des lois pour protéger un espace naturel de la prédation humaine et en faire un lieu où l’homme vit en équilibre avec les espèces qui le peuplent. Pour la première fois donc, l’homme reconnaissait implicitement sa capacité à détruire. En ce sens, nous rentrons ici dans un lieu hautement symbolique dans lequel je laisse aller ma réflexion et ma conviction. Si l’Homme au lieu de prédater la planète par une consommation irréfléchie dans laquelle il croît à tort trouver le bonheur, se contentait d’en connaître et d’en contempler les merveilles naturelles et la diversité des espèces avec lesquelles il la partage, s’il apprenait à se contenter de ponctions raisonnables sur ses ressources alors l’Humanité aurait fait un grand pas et les futures générations pourraient y croire. Cela me rappelle les phrases sage de ma grand-mère, souvent répétées pour que cela entre bien dans la tête de ma petite soeur et la mienne : « a-t-on vraiment besoin de tout ça? a-t-on vraiment besoin de tout ce que nous avons. » « le trop n’est pas bien ». Conclusion : on n’évacue pas facilement les principes qui nous sont transmis par notre Généalogie!!
De manière à bien témoigner que la nature a encore ses droits ici, nous serons accueillis par la neige au moment de rentrer dans le bureau de délivrance des permis pour marcher dans l’arrière pays. Un bon moyen de nous signifier qu’au Nord, l’hiver commence déjà à approcher. Fini les chaudes températures. Nous planifions en cette fin d’après-midi de partir marcher sur deux jours le lendemain. Pour dormir ce soir, nous devrons ressortir du parc et trouverons un endroit très sympa à côté de deux camping-car. Le couple d’à côté est en train de faire un feu de camp. Ils nous convieront gentiment à venir en profiter et nous feront même goûter à une recette 100% américaine : un sandwich de biscuit comprenant marshmallows et chocolat noir… Aaaaah ces américains et leur grande cuisine….. Nous passerons une bonne soirée, une soirée de débat pour tenter de comprendre leur vision de leur président. No comment.
Mardi 25 septembre (Visite Sud-Ouest Yellowstone)
Au réveil ce matin, les parois intérieures du van sont gelées. Nous sommes tous les deux emmitouflés dans nos duvets. Avec un duvet 10°, Émilie a dû s’habiller avec pour ainsi dire tout ce qu’elle avait. Impossible de pouvoir être confortable dans ces conditions. Elle a eu froid, très froid cette nuit. Rapidement, je lui dirai que l’on va annuler la nuit prévue sous la tente ce soir et donc la rando que nous avions planifiée. Nous tombons rapidement d’accord. Cela n’aurait pas de sens tant la situation aurait été inconfortable. Il y a tellement de choses à faire ici, que ce n’est pas bien grave.
Notre voisin n’arrivant pas à démarrer son gros 4*4 tout neuf, nous prenons notre temps afin de laisser les premiers rayons de soleil réchauffer le capot de mon vieux van. Dès le premier essai, le vieux van montre la voix au récent 4*4 et fait ronronner le moteur. Après avoir revu notre itinéraire ensemble, direction le grand prismatique, une si ce n’est La plus grande attraction de Yellowstone. Une résurgence d’eau chaude mêlant concrétions calcaires et tapis de cyanobactéries dans une forme circulaire quasiment parfaite. Le tout restituant un panel de couleur d’une extraordinaire diversité.
Alors bien sûr, la densité de population sur le lieu est à la hauteur de sa renommée, et de manière à retrouver un peu de calme, nous prenons la direction du geyser impérial situé à quelques kilomètres de là.
Marcher dans Yellowstone à cette période de l’année, c’est alterner entre des passages en forêt et au milieu de prairies jaunies par l’été. Le contraste de couleur est saisissant.
Régulièrement, des grondements se font entendre. Seules les fumeroles trahissent l’origine de ces derniers lorsque l’horizon se dégage.
Yellowstone n’est en effet pas simplement le premier parc national créé au monde, il est certainement l’endroit sur Terre illustrant le mieux le caractère vivant de cette dernière. Le parc est assis sur un strato-volcan, sorte de volcan géant explosif, dont la chambre magmatique mesure entre 15 000 et 20 000 km3. Autant vous dire que le jour où il rentrera en éruption, ce strato-volcan détruira une bonne partie du continent nord-américain et engendrera des impacts à l’échelle planétaire.
Solidement arnachés au sol de cette bombe en devenir, nous mesurons le battement terrestre à la diversité de son activité géothermale. La plus riche sur terre. Et pour l’heure, c’est devant le geyser impérial que nous nous arrêtons, seuls. D’un côté le geyser, de l’autre de petites flaques de boue creusées par l’acidité de l’eau. Des bulles de gaz s’en échappent. Nous restons là à observer et surtout à écouter le spectacle. Ici bat le cœur de notre belle planète. Moment d’émotion et de beauté, le regard plongé dans les eaux bouillantes du bassin.
Après plus d’une heure passée sur place, et devant le soleil déclinant, nous rebroussons chemin afin d’avoir le temps de prendre une douche dans des températures acceptables (douche solaire en forêt), et de sortir du parc pour trouver un emplacement pour la nuit. Le couple d’Allemands rencontré quelques jours plus tôt, nous a parlé d’une application permettant de trouver des spots pour le van. Le test s’avèrera concluant, dans une petite prairie située à la périphérie de la ville de West Yellowstone.
Mercredi 26 septembre (visite sud-ouest Yellowstone)
Après une grasse matinée de lecture (c’est quand même les vacances), nous prenons la direction du bassin d’Old faithful, nom donné à un geyser pour la régularité de ses éruptions. L’endroit présente une très grande concentration de geysers. Tous ont des cycles d’éruptions différents, de l’ordre de la dizaine de minutes à plusieurs jours ou mois. L’un d’entre eux est ni plus ni moins que le geyser propulsant ses eaux le plus haut sur terre, à plus d’une centaine de mètres de hauteur. Ce dernier ne rentrera pas en éruption aujourd’hui. Pas de déception possible, nous assisterons à trois grandes éruptions et déambulerons toute l’après-midi à travers les cratères des geysers et piscines d’eau chaude. Nous avions besoin de prendre notre temps et ralentir le rythme des premiers jours afin de profiter davantage des paysages qui nous entourent. Aujourd’hui encore, nous pouvons ressentir cette chaleur intense remontant des profondeurs de l’écorce terrestre, signe de son activité intense. Si le cadre ne semble pas refléter la dangerosité de ces environnements, entre les aménagements présents et le nombre de personnes sur place, nous savons apprécier le répit laissé par la nature pour admirer ce décor chaotique riche en contraste et en couleur.
La fin de journée se présente déjà à nous, nous obligeant à reprendre la direction de la sortie du parc. Nous retournons sur le même spot que la veille, à bonne distance de ce que nous avons planifié le lendemain. Sur la route, nous croiserons l’un des troupeaux de bisons jonchant le parc. Ils semblent habitués aux voitures mais restent impressionnants. J’aimerais les croiser en nature et non en bord de route mais tant pis, ce sera pour la prochaine fois.
Jeudi 27 septembre (visite du centre de Yellowstone)
Pour débuter cette journée, nous nous rendons sur le point le plus actif de Yellowstone au niveau de Norris et Monarch Geysers. Impossible de s’habituer à ces champs de désolation où la vie végétale semble mettre à mal toutes les lois de la physique. Je vous ai déjà dit que les sources d’eau chaude étaient peuplées de cyanobactéries, à l’origine du dégradé de couleurs visibles. En réalité ce dégradé correspond à différentes espèces de cyanobactéries, elles-mêmes réparties dans le bassin selon la température. À chaque couleur peut donc être assimilé une espèce particulière et une plage de températures. Au centre, dans le bleu ciel, les températures les plus élevées, supérieures à 90°C, présentent elles aussi de la vie. Quelle leçon donnée par ces micro-organismes dont l’espèce est vieille de plus de trois milliards d’années; l’adaptation semble bien être en effet la clé de la longévité.
Autour de ces sources géothermales, les arbres ont laissé place à un parterre blanchi par la cristallisation des eaux chaudes chargées en minéraux. La beauté de notre planète réside dans sa capacité à se régénérer après chaque catastrophe, à l’image de la végétation reprenant sur le champ d’un ancien geyser devenu inactif. Au final donc, d’un point de vue purement scientifique, ce constat est rassurant pour moi. Notre peur de la tragédie humaine vers laquelle nous courons ne résulte que de notre égoïsme et égocentrisme à vouloir voir perdurer notre espèce, bien souvent parce que le sens donné à notre vie est celui de la transmission. Nous passons tellement de temps à transmettre et en gardons tellement peu à vivre, qu’il ne faudrait pas que tout ce travail fourni n’ait servi à rien. L’observation de la nature permet donc de relativiser ces catastrophes en se disant que la Vie dans son sens le plus large et quelle que soit sa forme, continuera de faire de notre planète une petite île privilégiée au milieu de l’océan cosmologique qui l’entoure. Chacun dans nos pensées, nous continuons notre déambulation au cœur de ce décor.
L’heure est maintenant à la randonnée. Après un léger repas, nous prenons donc la direction du point de départ, tout heureux d’aller découvrir les chemins de l’arrière-pays de Yellowstone. Nous nous lançons avec l’objectif d’atteindre le lac des loups à 8km de notre point de départ. Après 500 mètres, j’entends derrière mois un « Aiiii » un peu plus prononcé que d’habitude. En me retournant, je vois Émilie se tenant le genou. Elle essaie de le remettre en place mais cette fois-ci, son genou semble bloqué. Moment de gros dépit et de crainte. Nous comprenons assez vite que le problème semble être important. Je la laisse digérer un peu, puis nous essayons quelques touches d’humour en se disant que le vulgaire dépassement du caillou sur lequel elle a buté a fait plus de dégâts que toutes les lianes, la boue, j’en passe et des meilleurs, de la jungle guyanaise. Après un quart d’heure nous rebroussons chemin. Je lui passe son bras au-dessus de mon épaule, et nous rigolons gentiment devant son état en disant qu’il valait mieux que ça arrive à 500 mètres du départ plutôt que de l’arrivée en pleine forêt…. Le constat étant fait et un premier lac étant caché derrière les arbustes, nous emprunterons quand même 100 mètres du sentier pour aller passer quelques minutes au bord de ce dernier. En rentrant, je souhaite l’amener aux urgences, mais je vous l’ai déjà dit, les Aveyronnais ont la tête dure. Alors que dire des Aveyronnaises!!!!… ) Il n’en sera pas question, elle repart en bus le lendemain matin et elle préfère attendre son retour en France deux jours plus tard, compréhensible. Nous nous accorderons donc une vraie douche cet après-midi, suivie d’un bon resto qui me sera offert par Émilie. Les blessures n’entament donc pas la générosité des Aveyronnaises. Nous nous consolons en pensant que dans son malheur, elle a pu profiter jusqu’au bout de ce voyage et nous tâchons de profiter de ces derniers moments malgré sa blessure, avec de la bonne nourriture.
Vendredi 28 Septembre (départ d’Émilie, retour à la vie de solitaire)
À son réveil, le genou ne va pas mieux du tout. Au programme pour Émilie, un bus toute la journée pour redescendre à Salt Lake City, puis l’auberge avant de s’envoler le lendemain. Sans rien pour s’appuyer, je ne la vois pas traverser les aéroports et les rues pour rentrer, je m’attèle donc à trouver une branche suffisamment solide sur laquelle elle pourra s’appuyer. Je la découpe à bonne hauteur avec ma machette, puis lui entoure une des extrémités à l’aide de sa couverture de vol. Voilà une béquille improvisée pas forcément esthétique, mais qui fera l’affaire jusqu’à son retour en France. Après un dernier petit-déjeuner sur les bords du Yellowstone, nous partons rejoindre son arrêt de bus. Nous aurions préféré tous les deux un départ plus en forme et enjoué, mais malgré la crainte inspirée par l’incertitude de l’état de son genou, nous ne pouvons pas arrêter de penser aux deux semaines hors normes vécues. Autant de souvenirs dont le partage construit et nourrit une amitié aux liens d’acier, longue de bientôt 10 ans maintenant. Voilà de nouvelles aventures que nous pourrons partager à nos vieux jours!!!.
Il est donc temps pour moi de retrouver ma vie de solitaire après un mois passé à partager ce voyage. Certainement la meilleure manière de terminer ce voyage au long cours, riche d’aventures et de découvertes, comme pour mieux le digérer, s’en imprégner et se préparer à une forme de réinsertion dans la société des horloges et de l’accélération. Après une telle expérience, après un tel voyage, après de telles rencontres et de tels partages, j’ai la conviction qu’il est possible de rendre l’Humanité plus humaine si chacun se fixe comme objectif de « faire sa part » et je ressens dans le souvenir de toutes ces beautés naturelles toute la pertinence du précepte énoncé par la médecine indienne : si l’on maintient un Etre en forme et en harmonie avec la Nature et le Cosmos, alors on peut se passer de système de sécurité sociale.
Bravo Momo pour cet article très bien écrit! Tu as bien su expliquer le ressenti qu’on a pu avoir face à tous ces paysages. Pour les lecteurs : lors de ma blessure au genou a yellowstone, il s’agissait finalement d’un ménisque qui s’est cassé. J’ai depuis subi une opération pour réparer la fois le ménisque et le ligament croisé qui était deja cassé. Aujourd’hui ça va beaucoup mieux. A choisir je prefere m’être cassé le menisque et avoir fait ce voyage, que n’avoir rien fait du tout. Merci beaucoup Momo pour ces vacances géniales! Et bon retour! Fais en sorte que ta vie soit toujours une aventure.
Heureux de te lire Amaury et nous sommes un peu jaloux de tes/vos aventures parmi ces magnifiques paysages (même si nous y sommes allés, on ne s’en lasse pas!). Viens vivre l’expérience Pays-Bas, ses polders, ses vélos et ses canaux …
Tot ziens, Patricia et Paul
Salut Patricia, tu peux être certaine que tu vas me voir débarquer ! Je te tiendrai au courant de quand, il faut maintenant que j’accueille quelques congés pour venir mais d’ici une petite année pour sûr !!
Quelle aventure.
11 mois de découvertes sans cesse renouvelées, d’épreuves surmontées, de rencontres toujours intéressantes.
Un final en feux d’artifice avec ce parc de Yellowstone tout en grondements, en fumeroles , en geysers et couleurs surprenantes, magnifique et tellement dangereux.
Manifestement Emilie va bien, donc l’aventure se termine au mieux.
Maintenant, effectivement c’est le retour dans la société avec tout ce que cela implique.
Cependant tu vas faire ça en douceur puisque tu vas redémarrer en haute Savoie. Il me semble qu’il y a pire.
Un nouveau job, avec de nouvelles techniques, dans un endroit fabuleux: Mais que demande le peuple?
Bonne réinsertion et bon courage et n’oublie surtout pas de profiter de la vie.
Magnifique aventure toute à la hauteur de ta détermination. Et bien ces récits me font revoir ma liste to do USA, je dois absolument ajouter ces endroits!
En excluant quand même quelques petites options que tu y as mis.
Merci et bon retour!
Louise XXX
Ma parole l’Elève dépasse le Maître!!!! Super texte, magnifiques photos, paysages sublimes. Coéquipière géniale, quelle belle idée que de partager ce bout d’ aventure entre Amis. Soit dit en passant ce n’est pas un caillou de quelques milliards d’année qui va intimider Emilie!!! L’essentiel est qu’elle n’est pas laissée son bel accent du Sud et d’Aveyron au milieu de ces immensités. En tout cas chapeau, parce qu’elle a été très courageuse. On l’embrasse. Je vois aussi que ta machette que Marcel et Louise-Ann avaient précieusement conservée et que nous t’avons ramené il y a 15 jours (quitte à être ridicule devant la Douane!!!), t’a au moins servi à jouer les MacGyver. Bravo Amo, c’est lorsque l’on a rien au milieu de nulle part que la matière grise est le plus efficacement stimulée. BIZ et à + en Suisse et Haute Savoie désormais.